Premier casting pour la prison de haute sécurité

Plusieurs détenus considérés comme dangereux, dont Mohamed Amra, intégreront bientôt l’établissement ultrasécurisé de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais).


Timothée Boutry, Vincent Gautronneau, Jérémie Pham-Lê et Jean-Michel Décugis

Les convocations viennent d’arriver pour une rentrée bien particulière, au cœur de l’été. Les premiers détenus sélectionnés par l’administration pénitentiaire — en concertation avec les magistrats — pour intégrer le tout nouveau quartier de lutte contre la criminalité organisée (QLCO) de la prison de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais) viennent d’être informés.

L’établissement, aménagé pour accueillir « les 100 plus grands narcotrafiquants », dixit le garde des Sceaux, Gérald Darmanin, recevra ses nouveaux pensionnaires à compter de la fin juillet. Objectif de la Place Vendôme : garantir l’étanchéité entre ces délinquants du haut du spectre et l’extérieur.

Parmi les critères d’éligibilité du ministère : l’appartenance à un réseau de criminalité organisée, les risques d’évasion, la poursuite d’activités criminelles derrière les barreaux et le risque d’introduction de produits. Même si, dans l’ensemble, ils ne s’avouent guère surpris des profils retenus, les avocats des détenus concernés dénoncent une procédure à marche forcée, sans réelle possibilité de recours.

Le casting commence à se dévoiler. Sans surprise, Mohamed Amra fera partie de la première vague. Après sa sanglante évasion au péage d’Incarville (Eure), la Mouche aura droit à une escorte individualisée pour faire le trajet depuis la prison de Condé-sur-Sarthe. « Il nous importe surtout de pouvoir le rencontrer en toute confidentialité, quel que soit le lieu, ce qui n’est pas le cas pour l’instant », avance M e Lucas Montagnier, l’un de ses conseils.

Le gratin des narcos

Plusieurs Marseillais feront le voyage vers le Pas-de-Calais. À l’instar de Gabriel Ory, considéré comme l’un des chefs de la DZ Mafia. Mis en examen pour plusieurs meurtres, il est suspecté d’en avoir organisé — comme celui du manager du rappeur SCH — depuis la prison. Détenu particulièrement signalé (DPS), il a récemment dû être transféré de la prison d’Arles où, malgré son isolement, il a été pris à six reprises avec des téléphones en un mois.

Dans le camp d’en face, celui du clan de narcotrafiquants phocéen Yoda, le redouté « Mareko Scarla », de son vrai prénom Guy B., devrait lui aussi poser son baluchon à Vendin-le-Vieil. Ce jeune homme de 22 ans est décrit comme une sorte de patron d’agence de sous-traitance du crime. Mis en examen pour de multiples assassinats, il purge également une peine de vingt-cinq ans de prison, dont il a fait appel, pour actes de torture et de barbarie sur des guetteurs à la cité marseillaise de la Busserine.

« On envisage de l’envoyer dans ce centre qui bafoue l’entièreté des libertés publiques les plus fondamentales alors même qu’il n’est à ce jour condamné définitivement dans aucune des procédures sur lesquelles l’administration s’appuie pour demander son transfert. Sa santé physique et mentale est déjà fortement impactée par son placement à l’isolement, ce transfert l’impactera encore davantage », s’alarme son avocate M e May Sarah Vogelhut.

Considéré pendant un temps comme le plus gros importateur de drogue en France, Moufide Bouchibi a lui aussi été avisé de son probable transfert à Vendin-le-Vieil. Recherché depuis 2012, il avait été arrêté à Dubaï en 2021 par la police locale avant d’être extradé vers la France. « Il était déjà placé à l’isolement à Condé-sur-Sarthe, donc son transfert relève davantage du symbole », relate son avocat M e Raphaël Chiche, par ailleurs conseil de deux autres détenus concernés : un trafiquant nantais récemment acquitté aux assises mais incarcéré dans d’autres dossiers et un homme arrêtée l’an dernier après cinq ans de cavale.

« On leur met une étiquette sur le dos »

Avocate d’un homme de 45 ans condamné dans plusieurs affaires de banditisme, M e Gaëlle Dumont dénonce pour sa part « une erreur de casting ». « Notre client a fini de purger sa peine pour trafic de stups, indique la pénaliste, qui intervient au côté de sa consœur Delphine Boesel. Il ne lui reste plus qu’un an à purger derrière les barreaux mais pour une histoire de faux. Il a certes récemment été mis en examen pour un trafic en détention avec le concours d’un surveillant mais c’est un dossier de droit commun qui ne relève pas de la criminalité organisée. Un transfert serait aberrant. »

Concrètement, les détenus ciblés ont reçu un document de l’administration dans lequel tous les critères sont listés. Avec l’aide de leurs avocats, ils ont la possibilité de faire des observations lors d’une audience devant un représentant de la direction de l’établissement où ils sont incarcérés, vendredi ou lundi.

Les observations seront transmises à la Direction interrégionale de l’administration pénitentiaire qui donnera son avis au ministère de la Justice, in fine décisionnaire. « Le débat auquel nous sommes conviés sert d’alibi à une procédure contradictoire en réalité totalement factice », dénonce M e Delphine Boesel. L’avocate critique également des transferts qui risquent de mettre à mal le maintien des liens familiaux des détenus et de compliquer leur sortie. « On leur met une étiquette sur le dos », regrette-t-elle.

Raphaël Chiche dénonce lui aussi « une apparence de procédure contradictoire ». « La loi Narcotrafic est entrée en vigueur le 15 juin, le décret d’application a été pris le 8 juillet, la procédure est lancée le 15 juillet pour de premières installations avant la fin du mois, déroule l’avocat pénaliste. Même si on a la possibilité de saisir le tribunal administratif en référé, cela n’empêchera pas les transfèrements. Tout est chronologiquement organisé pour que les recours soient ineffectifs », assure M e Chiche.

Une seconde vague de transferts est prévue en août.

Le Parisien - le 17 juillet 2025

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